Rue Célina Marc

Construite dans les années 1850, elle prolonge le Pont-Neuf en direction de la route de Ferrières.

Rue

 

Tracée au milieu des prés, cette rue moderne, rapidement bordée de maisons bourgeoises, de commerces et de "beaux hôtels", cafés  et relais de diligence, tels RAYSSIGUIER, BIAU, VERDEIL va supplanter peu à peu la rue Vieille. Les premières constructions s'érigent d'abord sur le côté pair ( côte du Mas), puis ce sera l'autre côté, bâti plus lentement, puisqu'en 1860, Louis Ramade achète à la dame Gentille Bruniquel, une portion de pré pour y bâtir sa maison, au 9 de la rue.  L'ensemble de maisons qui bordent " la nouvelle  grande route de Castres à Vabre" sera terminée vers 1870, et prendra le nom de Grand'rue.

Grandrue
Hôtel
1/2
Hôtel Corbière

Célina Marc

La Dame aux oiseaux

célinamarc

 

Elle est née le 9 novembre 1839, dans une famille protestante, non loin de Vabre, à la Virballe, berceau de sa famille et gardera toujours de l'affection pour la maison de ses grands parents, dont elle déplorera plus tard, dans un poème, l'abandon et le délabrement. A la mort de ses parents elle s'installera, à Vabre, au 16 de la Grand-rue qui porte son nom depuis le 24 mai 1964. Célibataire, vivant de rentes de famille, elle passera sa vie, au milieu des fleurs et des oiseaux qu'elle affectionnait, nourrissait, soignait, célébrait dans de nombreux poèmes. " Je chante les fleurs, les oiseaux, mon pays et mon  Dieu " écrit-elle. Nous ne savons rien de son enfance, mais il est facile de l'imaginer en " "parfaite  petite fille modèle" portant crinoline, avec les petits pantalons brodés dépassant de sa jupe, une capeline en paille d'Italie bien enfoncée sur ses cheveux bouclés à l'anglaise. Nous ne savons pas non plus à quel âge elle a commencé à traduire ses émotions et ses pensées en poèmes et quels ont été ses inspirateurs et ses maîtres. Mais elle a  certainement subi le prestige d'une poétesse castraise, très appréciée en ces premières années du 19ème siècle, Mme Balard, maîtresse des Jeux Floraux de Toulouse, dont les vers purs et nobles devaient être appréciés par une jeune fille idéaliste comme l'était Célina. Elle fut aussi une lectrice assidue des poètes du temps, Musset, Lamartine, Victor Hugo qu'elle évoque à maintes reprises dans ses recueils. Fut-elle amoureuse, fut-elle aimée ? Secrète et pudique elle laisse parfois transparaître ses émois dans des vers tendres et délicats :

Ah ! Ce qu'est le baiser… Nul ne peut le décrire !

Qu'un sourire railleur ne le profane pas.

Ce que l'âme ressent… La main ne peut l'écrire,

Le cœur, dans un baiser, le murmure tout bas.

 

Mais hélas ! Cet amour inconnu ne lui apporte que des avanies et des larmes. Célina s'épanche dans une élégie  fortement teintée d'un romantisme en vogue :

 

Désespoir de la vie !... Ah ! le cœur est un maître,

Un tyran, que l'on cherche, en vain à terrasser !

Mais il a des secrets que Dieu seul doit connaître.

Ma plume,ne doit pas, ici, les retracer.

 

L'aveu s'arrête-là. Nous ne saurons plus rien de amours de Célina. Dès lors, si la jeune fille cultivée  et sensible n'a pu s'épanouir dans un foyer, ni chérir un époux non plus que des enfants, comme la plupart des jeunes filles de son village et de son temps, elle a su déverser sur tous ceux qui l'entouraient des trésors de tendresse contenus dans son cœur. A défaut de partage amoureux, Célina fut une consolatrice, attentive tout particulièrement aux plus démunis, aux plus fragiles, aux plus faibles. Aux pauvres, aux enfants, aux oiseaux. Qu'une famille amie célèbre quelque joyeux évènement ou soit frappée par le malheur, Célina accourait, prête à se réjouir d'un bonheur qui n'était pas pour elle, à partager un deuil qui pourtant l'atteignait peu. Et de cette joie ou de cette peine jaillissait un poème que ceux qui le recevaient glissaient entre les pages de la Bible pour les relire plus tard avec un sourire ou bien des larmes moins amères. Des témoignages de ceux qui l'ont connue rapportent qu'on pouvait la voir, certains jours, aller déposer sur les tombes du cimetière de petits cadres portant sous leurs verres des quatrains signés de sa main, célébrant les vertus des défunts.

 Elle composait ainsi de nombreux poèmes  de circonstances, à l'occasion de décès, alors nombreux, de jeunes enfants de ses amies ou de ses connaissances, qu'elle remettait aux parents qui les déposaient dans le cercueil.  Ainsi Célina Marc déposa, un jour, la seule rose blanche respectée par l'automne dans le berceau d'un petit mort :

Le lendemain encore, elle était aussi belle.

Elle resplendissait dans le petit berceau

Qui contenait la fleur de la Vie Eternelle !

Et la rose et l'enfant allèrent au tombeau.

Fidèle à la foi réformée de sa famille et attachée aux valeurs de résistance des "parpaillots"  de la Montagne  du Tarn, elle ne manqua pas de célébrer dans ses poèmes, la farouche  mémoire rebelle  et combattante des Camisards, ainsi que la souffrance de ceux qui inflexibles dans leur foi, eurent à souffrir l'exil, la prison, les galères du Roi. Evoquant la mémoire de Marie Durand et des femmes emmurées  dans la tour de Constance d'Aigues Mortes, elle écrit :

" Résistez !"  ce grand mot se lit sur la muraille

Dans la pierre gravée par la main  de nos sœurs ;

En la voyant encore tout protestant trésaille

Et ses yeux un moment s'obscurcissent de pleurs.

" Résistez !" c'était là leur "non" irrévocable !

Les siècles passeront, mais la postérité

Relira sur les murs ce mot ineffaçable,

Eternel souvenir de la fidélité.

 

Dans une France marquée au fer rouge par l'humiliante défaite de 1870 contre les Prussiens, la perte traumatisante de l'Alsace-Lorraine, elle n'échappe pas à la fièvre patriotique et revancharde qui anime le pays et qu'elle célèbre dans une Ode consacrée à Jeanne d'Arc :

Jeanne reçut le jour au fond de la Lorraine,

Cette province aimée et qu'une double chaîne,

la chaîne de l'amour unie à la douleur,

Retient au sol français en dépit du malheur.

Mais  au-delà des hommages et des poèmes de circonstances la véritable source d'inspiration  de Célina Marc, demeure la  célébration de la nature dans sa prodigue splendeur et l'émerveillement d'une âme mystique avide de célébrer le miracle des oiseaux et des fleurs, de la vie sans cesse renaissante.

Elle participa à de nombreux concours littéraires auprès d'académies et de sociétés poétiques provinciales. Elle obtint plusieurs récompenses, dont l'une de l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse pour un poème au sujet  imposé qui lui tenait particulièrement à cœur : les fleurs.  Elle fit publier, à compte d'auteur, deux recueils. En 1891,  Fleurs des Montagnes, en 1911 Cyprès et rosiers blancs.

Elle décéda à Vabre, le 2 novembre 1925. Ceux qui l'ont connue et en ont laissé témoignage ont oublié les petits travers et les manies qui accompagnent les dernières années d'une vieillesse prolongée et solitaire pour ne plus se souvenir que de sa bonté sereine, du charme délicat de ses vers et du nom  que les enfants de Vabre lui avaient donné : " La dame aux oiseaux ".

 

Vabre

Oh ! Le charmant, le gai, le bon petit village !

Où des sentiers fleuris se cachent sous l'ombrage,

Où la riche nature étale sa splendeur !

Un véritable Eden plein de fruits et de fleurs !

 

Là, de blanches maisons dans un nid de verdure

Laissent apercevoir à peine leur toiture,

La rivière serpente à travers le gazon,

D'énormes peupliers s'élèvent tout le long.

Voici deux vérandas. Le cercle, la grand-rue ;

Plus loin la vigne vierge à ces murs suspendus.

Arrêtons nos regards sur ces grands marronnier

Qui de leurs longs rameaux ombragent le Terrier.

 

Voilà l'église, ici le temple, la chapelle.

Sur ses bords un château laisse voir ses tourelles.

Le pont majestueux avec ses grands arceaux

Vient embellir encore ses ravissants tableaux !

 

Descendons à Vabrès. Quel charmant paysage !

Berlou nous apparaît dans un massif d'ombrage,

Ce grand parc est rempli de rosiers, de sapins ;

Partout de frais abris, de séduisants chemins.

 

Voici le Poujoula montant comme une échelle

Et du haut du sommet que la montagne est belle !

Admirons un instant ces sites et ces grands bois,

En face Frayssinet  à côté d'une croix.

Enfin plus loin ce cher et humble cimetière

Où des enfant chéris reposent près d'un frère,

Où s'élèvent partout des couronnes de fleur

Pour marquer ici-bas la place de nos pleurs.

 

Mon petit Vabre aimé ! Là, combien de familles ?

Combien d'amis, d'enfants, de chères jeunes filles,

Qui vivent dans ton sein, loin des bruits des cités

Coulant des jours heureux dans ces lieux enchantés !

 

Que sera donc le ciel ? Si la terre est si belle !

O la sainte patrie ! O la vie éternelle !

S'il fait bon vivre ici dans ce terrestre lieu

Au ciel, loin de la mort, qu'il fera bon, mon Dieu !

 

                                                                       Célina Marc

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